Création du sénat de Nice
La création du Sénat remonte au début du XVIIe siècle, et s'explique par le désir des ducs de Savoie de « mettre à la disposition de leurs sujets niçois une justice aussi efficace que prestigieuse ». Elle est également la conséquence de considérations de politique locale, en particulier la nécessité de balayer les derniers obstacles féodaux face à l'expansion d'un absolutisme centralisateur. C'est par lettres patentes en date du 8 mars 1614, qu'est officiellement créé le Sénat de Nice, d'abord installé près du Palais Ducal, puis dans le Palais du Sénat, construit dans la seconde moitié du XVIIe siècle. La composition de cette juridiction fait appel à un nombre assez réduit de magistrats, originellement piémontais, puis niçois à partir de 1624. Nommés directement par le souverain, les membres du Sénat sont rémunérés par un traitement proportionnel à l'importance des fonctions. Ils n'obtiennent que de manière éphémère la reconnaissance de la vénalité de leurs offices, et le souverain continue à exercer un réel contrôle sur ses magistrats.
Le ressort du Sénat est originellement étendu et dépasse largement les simples frontières du comté de Nice, malgré de nombreuses modifications qui interviennent au cours du XVIIIe siècle. Ce Sénat est conçu comme une cour de justice, mais ses attributions s'étendent également dans le domaine extrajudiciaire, en matière administrative, ecclésiastique et, avant tout, politique..
En matière judiciaire, le Sénat a une compétence universelle et souveraine, et intervient tant en première instance qu'en appel. Relèvent directement de sa juridiction certaines affaires en raison de leur nature (concernant la souveraineté, la juridiction du souverain, les communautés, les procédures d'extradition ou d'exequatur ou les affaires militaires…), de la qualité des parties (grands officiers, étrangers, vassaux, pupilles…) ou de la valeur du litige. Le Sénat peu également évoquer une affaire pendante devant une juridiction inférieure, surtout dans le but d'assurer « une exacte observation des lois » en matière criminelle. En appel, sont portées devant le Sénat les sentences des Préfets ou juges-mages et de divers autres tribunaux spéciaux. Il se prononce surtout en matière criminelle concernant les délits passibles d'une peine corporelle, afflictive ou pécuniaire importante, et sur les jugements de torture. Sont également renvoyés obligatoirement devant lui, pour confirmation ou réformation, les accusés passibles de la peine de mort ou des galères.
En matière extrajudiciaire, le Sénat remplit surtout une fonction de conseil par des avis, des requêtes et un droit d'enregistrement et de remontrance, utilisé avec une grande modération. Il peut également prendre des arrêts de règlement motivés, pour imposer des dispositions d'ordre général, et des mesures de police, par des manifestes ou des rescrits. Jamais, cependant, le Sénat n'affiche une attitude d'opposition systématique à l'égard du pouvoir central, comparable à celle des Parlements français. Loin de constituer un obstacle à l'absolutisme piémontais, il maintient une attitude fidèle et locale, recherchant toujours la voie du conseil plutôt que celle du conflit.
Avec la Révolution, et l'entrée des Français à Nice, le 28 septembre 1792, le Sénat de Nice est contraint de mettre pratiquement un terme à ses activités, malgré la ténacité de quelques magistrats. Ayant décidé le 25 septembre de se transporter à Saorge, place forte restée piémontaise, il est ensuite transféré à Borgo San Dalmazzo, puis à Carmagnola, avant d'achever son odyssée à Turin, en 1796, avec une délégation réduite à trois membres. Lorsque les lettres patentes du 13 décembre 1796 suppriment cette Délégation sénatoriale et attribuent au Sénat de Piémont toutes les causes qui relevaient de sa compétence, le comté de Nice est déjà depuis longtemps organisé par les Français, en particulier sur le plan judiciaire. Il en va de même pour le reste du royaume, à partir de 1798, malgré quelques renversements de situation liés aux aléas de la guerre.
Ce n'est qu'en 1814, à la chute de l'Empire, que le gouvernement sarde, notamment par l'édit royal du 21 mai, s'empresse de rétablir l'ancienne organisation judiciaire. Le Sénat de Nice, renouant avec le passé, selon la volonté même de Victor-Emmanuel Ier, recouvre ses attributions traditionnelles et reprend ses activités dès les premiers jours de juin 1814. Un édit du 19 avril 1816 vient élargir son ressort et déterminer les règles de fonctionnement des tribunaux qui y sont inclus : les Préfectures de Nice et de Sospel, ainsi que le Conseil de Justice d'Oneille, et, au-dessous, les juges de mandement. En 1818, la Province de Sospel est supprimée ainsi que le Tribunal de Préfecture qui est réuni à celui de Nice, mais est créée la Province de San Remo, toujours incluse dans le ressort du Sénat.
Il faut attendre les revendications libérales de 1847, pour que Charles-Albert soit contraint d'améliorer l'organisation judiciaire. S'inspirant de ce qui existe en France, il crée une Cour de Cassation, siégeant à Turin, par l'édit du 30 octobre 1847, mais les patentes royale du 4 mars 1848 accordent surtout une Constitution (Statuto). La première des deux chambres législatives ainsi créée portant la dénomination de Sénat, il décide, pour éviter toute confusion, « qu'à l'avenir, les cours de justice connues sous ce nom, seraient désignées sous le titre de Magistrats d'appel (Cours d'Appel), et leurs membres sous celui de conseillers ». Suivant la même logique, les Tribunaux de Préfecture sont désormais appelés Tribunaux de première instance. C'est ainsi qu'au moment de l'annexion du comté de Nice par la France, en 1860, le ressort de la cour d'Appel de Nice, qui ne survivra pas au changement de souveraineté, s'étend sur les tribunaux de Nice, Oneille et San Remo, le tribunal de Nice comprenant dans sa circonscription 16 justices de mandement.
Marc ORTOLANI et Olivier VERNIER, in Dictionnaire Historique du Comté de Nice, Serre Editeur